Butte de Montsec 1914 - 1918
|
La Butte de Montsec, couronnée du monument érigé en mémoire des combats du Saillant de Saint-Mihiel, est indissociablement liée à l’intervention des troupes américaines en 1917 et 1918. Et pourtant cette colline n’a jamais fait l’objet d’interventions américaines, même si certains travaux d’histoire militaire affirment le contraire. Elle ne se trouve pas non plus dans le secteur attribué aux Américains lors de l’offensive du 12 septembre 1918. Au contraire, tout comme les secteurs situés plus à l’ouest en direction de la ville de Saint-Mihiel (Bois d´Apremont, Bois Brûlé, Bois d´Ailly), la Butte de Montsec est prise le 13 septembre 1918 par des unités du 2e Corps d’Armée Colonial français et en particulier par la 39e Division d’Infanterie, après des combats parfois violents avec les troupes allemandes en retrait.
|
Butte de Montsec – contexte historique
L’histoire de la Butte de Montsec et du village du même nom à son pied peut être retracée jusqu’à la période gallo-romaine grâce à la découverte de pièces de monnaie. La colline se trouve près d’une voie romaine importante (l’actuelle D119), qui relie Saint Mihiel et d’autres localités avec les villes mosellanes Metz, Nancy et Trèves, ainsi qu’avec les centres urbains romains du Rhin plus à l’est, comme Mayence et Cologne.
Un fortin romain du nom de « Mocio » se trouvait au sommet de la colline. Après que le général romain Aetius ait résisté aux Huns d’Atilla sur les champs catalauniques, le secteur de la plaine de Woëvre intègre le royaume d’Austrasie, puis celui de la Francie orientale. Après la destruction des installations romaines par les Huns, un nouveau camp militaire du nom de « Castrum Vabrense » voit le jour sur le Montsec dans le courant du 8e siècle. La présence d’une population civile et d’une basilique est attestée ultérieurement. Puis le camp militaire change de nom et devient « Chastel Montclin » ; le nom actuel de la Butte serait un héritage direct de cette appellation. |
Butte de Montsec - Grande Guerre 1914 - 1918
Au milieu du 19e siècle, des fouilles archéologiques mettent à jour un vaste réseau de tunnels à l’intérieur de la Butte de Montsec, datant du 8e au 12e siècle de notre ère. Une partie de ces tunnels est utilisée et agrandie par les troupes allemandes après la prise de la colline en septembre 1914 ; pendant quatre années, ils en font une base militaire sur le flanc sud du Saillant de Saint Mihiel.
A partir du printemps 1915, des unités de la Division de Réserve de la Garde, puis de la 5e Division de Landwehr, mettent en place 3 grands réseaux souterrains ainsi que des postes d’observation sur le sommet du Montsec. Ces complexes sont nommés Plewna I, Plewna II et Plewna III d’après la ville bulgare du même nom Plevna (Pleven), qui etait le théâtre d’une bataille de plusieurs semaines pendant la guerre russo-turque en juillet 1877.
Il existe encore des traces des souterrains et des positions en surface de la Butte de Montsec, comme l’entrée effondrée du complexe Plewna I, visible après le premier virage en montant le Montsec, près d’un escalier. En suivant le chemin pédestre en amont de cet escalier, on peut deviner l’existence de postes d’observation et de positions faisant partie du réseau Plewna I. Au somment de la colline, en suivant un chemin derrière le monument américain dans la forêt, on arrive à l’ancien poste d’observation central Plewna II, dont les restes sont mieux conservés. On y trouve un poste de garde maçonné, des restes de tranchées, des entrées maçonnées de souterrains et des traces de béton. Le poste d’observation Plewna III se situait au sommet, là où s’érige aujourd’hui le monument américain. Aucune trace de ce complexe n’a été trouvée à ce jour. Malheureusement, il n’existe que très peu de photos ou d’autres informations sur ces installations et leur utilisation militaire.
Contrairement aux positions avancées du Bois de Géréchamp et de la crête du « le Mont », le secteur de la Butte de Montsec n’a pas connu de combats importants pendant l’offensive franco-américaine du 12 septembre 1918. Après le retrait programmé des troupes allemandes dans le cadre du plan Loki, le village et la colline de Montsec sont pris par des unités de la 39e Division d’Infanterie française le 13 septembre 1918.
A cause des destructions importantes infligées par l’artillerie française lors de l’offensive allemande de 1914, ainsi que par les échanges de tirs durant les quatre années suivantes, le village de Montsec n’a guère pu héberger les troupes allemandes. Celles-ci se cantonnent donc dans les camps forestiers aux alentours. Ceci explique pourquoi il n’existe presque pas de traces authentiques ni de photos de l’occupation allemande du village. L’ancien lavoir fait figure d’exception : il ne subit que peu de dommages pendant la guerre et se trouve aujourd’hui quasiment dans son état d’origine. Il abrite une petite exposition qui retrace la période de l’occupation allemande à l’aide de quelques photos. En temps de guerre, un monument avoisine le lavoir dont il ne reste plus de trace aujourd’hui. Ce monument était orné d’une phrase tirée d’une allocution tenue par le chancelier Otto von Bismarck dans le Reichstag en février 1888 :
|
"Wir Deutsche fürchten Gott, aber sonst nichts in der Welt
("Nous, les Allemands, nous craignons Dieu mais rien d’autre au monde")
Ce passage héroïque et fréquemment utilisé sur des monuments allemands ou des cartes postales ne représente que la première partie de l’énoncé de Bismarck et fait abstraction de l’essentiel du message :
und die Gottesfurcht ist es schon, die uns den Frieden lieben und pflegen lässt."
("et c’est bien la crainte de Dieu qui nous fait aimer et maintenir la paix").
A la sortie nord du village de Montsec, près de l’ancienne voie romaine menant à Woinville (l’actuelle D119), se trouve un autre vestige intéressant de la Grande Guerre. Il s’agit d’un grand poste de commandement allemand de la kommandantur L en charge de ce secteur du front. Souvent, des experts affirment qu’il s’agit de l’ancien central téléphonique des positions sur le Montsec, sans pourtant donner des références. Cette attribution est douteuse, car toutes les sources connues à ce jour évoquent un blockhaus de commandement ; de surcroît, il n’y a aucune trace de câblages sur les photos d’époque ni dans les vestiges actuels de ce complexe.
|
Immédiatement à côté de ce blockhaus se trouvent les restes d’un autre bâtiment en béton, orné d’un blason du lion hessois et de l’épigraphe « HESSENTREUE » (fidélité hessoise). Jusqu’à présent, l’origine et la fonction de cette construction restent floues, faute de photos et d’informations d’époque.
En suivant le chemin au bord duquel se trouvent ces deux blockhaus, le long de la pente septentrionale de la Butte de Montsec, on arrive rapidement à une section moins escarpée. On y trouve différents vestiges de constructions de camps allemands, des terrils ainsi que des conduits d’aération d’un grand tunnel. Celui-ci mène d’un sous-bois au bord de la D119 au nord de Montsec, appelé « Küchenwäldchen » (Bosquet de la cuisine) par les Allemands, jusqu’à ce camp souterrain, puis en amont vers les postes d’observation Plewna I – III au sommet de la colline. Aujourd’hui encore on retrouve le tracé du tunnel effondré en creux dans le pré. Les vestiges au bord de la D119 montrent qu’il y avait une entrée double à ce grand souterrain.
Butte de Montsec – l’après-guerre et l’élévation du monument
Au début des années 1920 les Américains commencent à réfléchir sur la question des sépultures des plus de 100.000 soldats tombés pendant les combats de la première guerre mondiale, majoritairement inhumés en France. Il résulte de la consultation des familles que la plupart souhaitent le rapatriement des corps aux Etats-Unis et que seulement environ 30% parmi eux préfèrent une inhumation de leurs proches près des champs de combats ainsi que la mise en place de cimetières et de monuments permanents en France. Les deux options seront prises en compte. En 1923, le congrès américain fonde l’American Battle Monuments Commission (ABMC), avec siège à Arlington, pour prendre en charge la création de cimetières et de monuments en France puis dans tous les autres pays ayant connu une intervention militaire des Etats-Unis.
|
Le premier président de l’AMBC était, jusqu’à sa mort en 1948, le General of the Armies John Joseph Pershing, l’ancien commandant des American Expeditionary-Forces (AEF) ainsi que de la 1ère Armée des Etats-Unis responsable de l’offensive et de la réduction du Saillant de Saint-Mihiel à partir du 12 septembre 1918. A côté du grand site de mémoire installé sur la Butte de Montfaucon en l’honneur des morts dans l’offensive Meuse-Argonne, deux autres monuments importants sont implantés près des deux autres lieux de combats avec participation américaine : dans le secteur Aisne-Marne ainsi que dans le Saillant de Saint Mihiel.
En 1924 il est décidé d’ériger un monument unique pour les victimes des 1ère et 2ème armées américaines ainsi que des différentes autres unités ayant combattu dans le secteur du Saillant de Saint Mihiel en 1917 et 1918, sur les champs de combat allant du nord de la Lorraine jusqu’à l’Alsace plus au sud. Le choix du site tombe sur la caractéristique Butte de Montsec. La construction du Montsec American Monument ne commence cependant qu’en 1930, après la résolution des désaccords initiaux entre les Américains et les Français sur sa conception et ses coûts. L’étude est réalisée par l’architecte et sculpteur américain Egerton Swartwout. Il en résulte une rotonde à colonnade de style dorique en pierre d’Euville, composée de colonnes surmontées d’une couronne monumentale. Au centre de la rotonde se trouve un grand relief paysager en bronze illustrant le cours des combats et les différentes positions du front. Les unités militaires participantes et leurs lieux d’intervention principaux sont gravés dans les colonnes et la couronne.
|
Le Montsec American Monument est inauguré en 1937 dans le cadre d‘une cérémonie festive, enregistrée cinématographiquement. Deux ans plus tard seulement, en 1939, la Seconde Guerre mondiale commence. La défaite des forces armées françaises se produit en juin 1940, quelques semaines après le début de la « Bataille de France ». La Lorraine, et donc la zone entre la Meuse et la Moselle, se trouve à nouveau sous l’occupation allemande qui perdurera jusqu’en 1944. Le secteur de Monsec ne connaîtra de sérieux combats que vers la fin de la guerre. Le 1er septembre 1944, des unités du 317e Régiment d’Infanterie américain atteignent le secteur à l’est de la ville de Saint Mihiel. Elles sont précédées par des attaques aériennes sur la Butte de Montsec, justifiées par la présence présumée d’unités allemandes retranchées. Il est question de plusieurs postes de mitrailleuses, dont il manque cependant toute trace. Le bombardement cause des dégâts considérables au monument même ainsi qu’à son environnement proche. La restauration du mémorial et son aménagement définitif tel que l’on le voit encore aujourd’hui ont lieu en 1948.
Dans le cadre d’une visite au Saillant de Saint Mihiel, la Butte de Montsec constitue toujours une étape particulière, malgré son intérêt historique et militaire relatif. L’une des explications principales en est la vue du sommet, qui, par temps clair, englobe la totalité du secteur occupée par les Allemands pendant la guerre : à l’est jusqu’à la vallée de la Moselle, au nord le long des côtes lorraines jusqu’au champ de bataille de Verdun. Ainsi la Butte de Montsec offre une occasion unique pour visualiser et comprendre l’aspect géographique de la naissance du Saillant de Saint Mihiel et des combats qui s’en sont suivis.