Fort du Camp des Romains - Fort Römerlager
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Le fort du Camp des Romains, que les Allemands appellent « Römerlager », est construit entre novembre 1875 et mai 1878. Il fait partie de la nouvelle ligne de défense entre Toul et Verdun, construite suite à la guerre 1870-71, après que la France ait perdu l’Alsace et une grande partie de la Lorraine, dont les places fortes de Metz et Thionville. Le concepteur de cette ligne de fortifications, le général Raymond Adolphe Séré de Rivières, prévoit que le fort du Camp des Romains soit un « fort d’arrêt ». Il doit soutenir les unités d’infanterie stationnées sur les Hauts de Meuse, protéger les connections routières et ferroviaires entre Toul et Verdun et bloquer la traversée de la Meuse à Saint-Mihiel.
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Planification et construction :
A la fin de 19e siècle, l’architecture européenne des fortifications est encore très imprégnée de concepts datant de l’Antiquité. Le principe de base est toujours que les ouvrages situés en hauteur sont imprenables par l’infanterie, ou seulement au prix de pertes considérables. Le fort du Camp des Romains, de par sa situation dominante au-dessus de la vallée de la Meuse, est réputé comme ne pouvant être pris qu’en affamant les occupants. Cette conception ne subsiste même pas au-delà de la phase de construction.
Le 10 février 1874 déjà, il est décidé de construire un grand ouvrage défensif à l’emplacement d’un ancien campement romain au sud de Saint-Mihiel. Une première ébauche prévoit plusieurs bastions individuels pouvant se couvrir mutuellement. Le plan définitif est adopté le 14 octobre 1875. La construction débute le 1er novembre 1875 avec des ouvriers civils recrutés sur place. En mai 1878, les travaux au fort du Camp des Romains se terminent. Contrairement au budget initialement prévu de 2 millions de Francs, le coût de la construction n’est que d’environ 1,5 millions. Le fort possède des logis pour 21 officiers, 46 sous-officiers et 764 hommes. Le lazaret permet de prendre en charge 50 patients alités. L’armement consiste en 41 postes d’artillerie, dont 23 canons de rempart, 4 canons à tir indirect, 6 mortiers et 8 caponnières. Deux casemates renforcées prévues ne seront finalement pas construites.
Le fort est flanqué au nord-ouest par le fort des Paroches situé sur l’autre rive de la Meuse. Le fort de Liouville, installé au sud, ne procure que peu de protection car les hauteurs du Bois d’Ailly empêchent le contact visuel direct. Le champ de vision est également limité à l’est et au nord-est, c’est-à-dire dans la direction par où l’attaque de l’ennemi allemand est le plus probable. Comme l’objectif principal du fort est de protéger la vallée de la Meuse, on s’accommode de ces points faibles, qui s’avéreront pourtant décisifs lors de l’attaque allemande du 24 septembre 1914.
Comme pour toutes les autres fortifications militaires construites à la même époque, une remise en question fondamentale a lieu à partir du milieu des années 1880 suite à « la crise de l’obus torpille ». Tous les ouvrages maçonnés récents ou encore en cours de construction, s’avèrent être trop vulnérables aux attaques d’artillerie. Le fort du Camp des Romains a besoin de travaux de modernisation importants mais presque rien ne sera fait. Seuls les meurtrières, caponnières et quelques autres points seront bétonnés. |
Plusieurs postes d’observation et de retranchement sont installés dans la partie orientale. En 1889-1890, une centrale téléphonique souterraine et un dépôt de munitions sous roc sont rajoutés dans l’angle nord-ouest du fort. Contrairement à ce que l’on peut lire ailleurs, les modernisations importantes prévues dans les années précédant 1909, dont la construction de plusieurs casemates d’artillerie et un casernement bétonné, n’auront pas lieu.
Dans les environs de Saint-Mihiel, seul le fort de Liouville a bénéficié d’une requalification conséquente. Le statut du fort du Camp des Romains, fort d’arrêt sensé pouvoir résister à l’ennemi pendant un certain temps, est dégradé en 1889 en fort de 2e classe. En 1910, son rôle se limite à soutenir, de par son artillerie, les troupes d’infanterie sur les Côtes lorraines en cas d’une éventuelle attaque allemande. Jusqu’au début de la Première Guerre mondiale, son équipement d’artillerie est de plus en plus réduit. Aussi le fort est-il « déclassé » quand la guerre commence.
Structure et équipement :
A cause des descriptions divergentes que l’on peut trouver dans les différentes sources, il n’est pas possible de faire des affirmations exactes sur l’équipement technique et militaire du fort du Camp des Romains au moment des combats de septembre 1914. Le descriptif suivant reflète alors la situation la plus probable.
Le fort du Camp des Romains est installé sur une colline d’une hauteur de 386 mètres au sud de da Cité de Saint-Mihiel. Il a la forme d’un quadrilatère inégal.
Le portail principal se trouve à l’ouest, entouré de casemates d’artillerie. Celles-ci sont reliées au secteur central par deux chemins latéraux. Sur le terrain avancé vers l’ouest, que les Allemands appellent place d’armes et que les Français utilisent comme terrain d’exercices, quelques constructions, probablement des logements, datent d’avant la guerre. Selon les plans, une cantine se trouve également dans ce secteur. La façade principale du fort est située côté est/nord-est. Le rempart supérieur domine le glacis d’environ 10 mètres ; il sert de défense pour l’infanterie. Le rempart principal est pourvu de remises et élargi pour pouvoir accueillir des canons. Neuf batteries au total encerclent le casernement central. Il n’est pas clair si celles-ci sont encore complètement équipées au début de la guerre. Les ouvertures des casemates ont pu être bouchées soit par les Français avant la guerre, soit par les Allemands plus tard. |
Tous les murs du fort ont une épaisseur de 0,90 à 1,10 m. La hauteur de la couche de terre couvrant le fort est d’environ 5 mètres. Le fossé entourant le fort, large d’environ 12 m. et d’une profondeur de 8 mètres, est défendu par deux caponnières simples et une caponnière double. Comme c’est le cas pour la plupart des autres ouvrages de l’époque, le mur extérieur du fossé est équipé d’une clôture massive en métal.
En plus du portail principal ouest, le fort possède également une entrée orientale, reliée à un chemin couvert en direction de l’est. « Couvert » veut dire que les talus de ce chemin sont tellement hauts, qu’un tir d’infanterie est quasiment impossible. Cette entrée orientale est d’abord défendue par un blockhaus extérieur en pierre de taille. Encore avant la guerre, celui-ci est renforcé par une couverture en béton d’environ 1 mètre d’épaisseur et complété par un poste d’observation orienté vers l’est. L’entrée orientale du fort est également équipée d’un pont métallique rétractable ayant des airs d’un pont-levis médiéval. |
Les sources exploitables suggèrent l’existence de liaisons de signalisation optiques avec Saint Mihiel, le fort des Paroches et probablement aussi avec les forts de Génicourt et Rozelier au nord. Certaines sources évoquent une liaison optique avec le fort de Liouville, ce qui paraît invraisemblable vue la topographie du terrain.
Dans les années 1889 / 1890, un système de tunnels sous roc est installé dans l’angle nord-ouest du fort pour servir de dépôt de munition. Celui-ci se trouve à une profondeur d’environ 12 mètres et est donc protégé contre les tirs d’artillerie. Autour du fort se trouvent des systèmes de fossés dont il reste des traces aujourd’hui ; dû au manque de plans, il n’est pas possible de déterminer clairement s’il s’agit de fossés creusés par les Français avant la guerre ou s’ils sont créés par les Allemands après.
Le casernement central du fort comporte deux étages. Des deux côtés, il est encadré de magasins à poudre destinés à abriter 50 à 70 tonnes de poudre chacun. Il y a aussi des ateliers de chargement et des magasins aux cartouches pour environ 1 million de cartouches et autres munitions. Une surface de presque 180 m² est prévu pour le stockage d’obus prêts à l’emploi.
En outre, le fort est équipé d’une citerne dont il n’est plus possible de déterminer la capacité exacte. Les informations à ce sujet varient entre 160 et 450 m3 d’eau. Une capacité de 450 m3 aurait couvert les besoins de tout l’effectif prévu (environ 850 hommes) pendant 4 mois. La citerne est alimentée en eau de pluie par un bassin se trouvant sur le glacis. Le fort possède également au moins deux grandes cuisines et plusieurs fours à pain capables de produire environ 200 rations de pain quotidiennement. L’ouvrage est conçu pour pouvoir vivre en autarcie et donc pour résister à un siège pendant au moins 3 mois. |
En ce qui concerne les pièces d’artillerie présentes au moment des combats de septembre 1914, les données varient beaucoup. Il est certain que leur nombre a fortement diminué depuis la création du fort mais aucune affirmation n’est possible sur les différents types ni quantités. Les chiffres les plus souvent mentionnés font état de :
Nous ne disposons à ce jour d’aucune information précise sur les stocks de munitions du fort. Selon les usages de l’époque, ceux-ci pourraient être de 600 à 700 pièces pour les canons calibres 90 et 120 mm, de 300 pièces pour les mortiers, de 150 pièces pour les 12 culasse et d’environ 500 pièces pour les canons revolver. Outre ces pièces de munition, le fort possède plusieurs mitrailleuses qui seront utilisés de façon très intensive pendant les combats.
Le nombre d’hommes occupant le fort est tout aussi peu certain. A côté des 6 officiers entourant le commandant du fort, le Lieutenant-Colonel David Grignot, il y a trois pelotons du 166e Régiment d’Infanterie sous le commandement du Capitaine de Lusancey, soit environ 205 hommes, 220 hommes du 155e Régiment d’Artillerie à pied, ainsi qu’une cinquantaine d’hommes appartenant à des unités de génie et auxiliaires. Il convient d’y ajouter une trentaine d’ouvriers civils et la cantinière, qui, elle aussi, subira les bombardements ainsi que les combats qui suivront.
Prise du fort par les troupes allemandes, les 24 et 25 septembre 1914 :
Le 3e Corps d’Armée bavarois, engagé dans les combats autour de Nancy jusqu’à la mi-septembre 1914, est détaché de la 3e Armée transférée au nord et rattaché au nouveau détachement d’armée (Armee-Abteilung) Von Strantz. Vers le 19 septembre 1914, ces unités se mettent en mouvement en direction des Hauts de Meuse. Après une approche rapide des Côtes lorraines et quelques combats brefs comme à Vigneulles et Hattonville, les troupes atteignent la ligne Lamorville – Chaillon – Savonnières – Richecourt le 23 septembre 1914. Au départ de cette position, Saint-Mihiel est prise par le 6e Régiment Royal d’Infanterie bavarois le 24 septembre. Le 25, le fort du Camp des Romains tombe à son tour, suite à l’assaut par le 11e Régiment Royal d’Infanterie bavarois, le 16e Régiment du Génie ainsi que le 3e bataillon du 6e Régiment Royal d’Infanterie bavarois. Environ 530 défenseurs français sont faits prisonniers.
Plusieurs témoignages contemporains racontent la prise du fort. Ainsi le journal de guerre du 6e R.R.I. bavarois, écrit par le capitaine Georg Lang en 1924, contient une description intéressante du lieutenant Reitzenstein, mis en scène comme le conquérant du fort. |
Dans le 6e tome de leur ouvrage « Batailles de la Guerre mondiale », intitulé « De Nancy au Camp des Romains », les archives nationales allemandes font également le récit des combats menant à la prise du fort le 25 septembre 1914. Ce tome est écrit par le baron Ludwig Von Gebsattel, général en charge du 3e Corps d’Armée bavarois de 1914 à 1917. Ce C.A. est l’acteur principal des combats sur les Hauts de Meuse menant à la prise de Saint-Mihiel et du fort du Camp des Romains en septembre 1914. Il restera sur place jusqu’en 1916 et défendra sa position dans le Saillant de Saint-Mihiel contre les nombreuses tentatives de reprise par les Français.
Le compte-rendu des généraux bavarois relate l’évolution des combats en détail. Il en ressort que l’attaque, bien que commandée par le 3e Corps d’Armée bavarois, n’aurait pas pu réussir sans l’aide des troupes prussiennes du 16e bataillon du génie. En effet, le 11e R.R.I. bavarois chargé de cette attaque ne dispose que de très jeunes officiers sans expérience dans l’assaut de fortifications ennemies. Aussi ce sont les officiers du génie prussien qui mènent les troupes bavaroises à l’assaut du fort et en assurent la réussite.
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La description la plus détaillée et probablement la plus authentique de la prise du fort est sans doute celle du général Wilhem Haenichen dans le Livre d’honneur du Génie allemand, édité en 1931 par le major Paul Henrici et le Cercle des Pionniers allemands. Cet ouvrage met particulièrement en valeur la participation et le rôle décisif du Génie dans l’attaque du fort du Camp des Romains.
Le 23 septembre 1914, les unités des 11e et 12e brigades d’infanterie bavaroises occupent les positions d’artillerie prévues pour l’attaque de la ville de Saint-Mihiel ainsi que des forts des Paroches, du Camp des Romains et de Liouville. Le bombardement commence le jour même. Y participent pour l’attaque du Camp des Romains : 3 batteries de campagne de 10 cm, 4 obusiers de 15 cm, un mortier de 21 cm, 3 mortiers côtiers de 28 cm ainsi que, pendant un certain temps, un nombre indéfini de mortiers Skoda autrichiens de 30,5 cm.Au début des combats, l’artillerie du fort répond énergiquement. Mais sous le feu intensif des batteries allemandes, elle doit s’incliner assez rapidement.
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Dans la matinée du 24 septembre, le général Von Gebsattel s’entretient avec des commandants d’artillerie et d’infanterie à Chaillon. Les informations données par des patrouilles et des aviateurs font penser que le fort du Camp des Romains peut être attaqué. D’autant plus que l’artillerie française sur la rive gauche de la Meuse ne semble lui offrir aucun soutien. Aussi Von Gebsattel ordonne-t-il par procédure sommaire l’assaut du fort par la 12e brigade d’infanterie sous le commandement du général Von Kirschbaum. Le 6e R.R.I. bavarois doit conquérir Saint-Mihiel ainsi que les hauteurs à l’est de la ville pour garantir la protection du côté nord. Cette mission est facilitée par le fait que les 10e et 13e régiments bavarois ont réussi, à la suite des combats lourds à Spada et Lamorville, à occuper également la côte 331 (Côte Sainte-Marie). Ainsi, tout le massif forestier au nord de Saint-Mihiel est aux mains des Allemands.
L’assaut du fort est confié au 11e R.R.I. bavarois sous le commandement du général de division baron von Tautphoeus, en coopération avec le 16e bataillon du génie du 2e C.A. prussien sous les ordres du commandant baron Von Rössing. Le 16e bataillon du génie du 2e C.A. prussien est un bataillon de campagne et ne dispose donc d’aucun équipement de siège. Le matériel d’assaut s’improvise ; on réquisitionne chariots et charrettes et rassemble toutes les échelles disponibles. Le parc du génie de Vigneulles-lès-Hattonchâtel fait également une contribution de matériel. Les explosifs apportés deviennent des grenades à main improvisées. Les grenades à manche et sphériques ne sont pas encore en usage. A tout cela s’ajoutent les échelles d’assaut, les glissières et les goulottes provenant des réserves de la place forte de Metz.
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L’assaut est donné tôt le matin du 25 septembre 1914. Les pionniers du génie se mettent en marche dès la veille au départ de Savonnières en direction de la ferme de la Marsoupe. L’équipement les suit avec un peu de retard. Les 1er et 2nd bataillons du 11e R.I. partent vers 15 heures des forêts de Gaumont et Wavroils vers les positions prévues au Bois de Pernosse, en empruntant l’actuelle D119. Les fantassins quittent ces positions en début de soirée du 24 septembre pour se rendre dans les positions de départ de l’assaut. Le 3e bataillon, à peine parti de la forêt de Spada, servira de réserve dès son arrivée dans les environs d’Ailly.
En s’approchant du fort, la tête des troupes du génie et leur commandant, le baron Von Rössing, rencontrent les colonnes de l’infanterie. Les reconnaissances confirment que le fort, contrairement à ce que certains espèrent, n’a pas été abandonné par les Français. Sur la colline « Le Haut Buisson » au sud de Saint-Mihiel, le commandant Von Rössing rencontre le général Von Tautphoeus, le général de division du 11e R.R.I. bavarois. A l’aide d’un plan du fort obtenu par Von Rössing, on discute l’assaut. Huit troupes d’assaut attaqueront le fort simultanément : 3 venant du nord, 3 du sud et 2 de l’est. L’attaque commencera à 5H30. Les officiers d’infanterie novices sont instruits par le commandant du génie sur leur rôle exact dans l’assaut. L’attaque principale se fera à l’est ; la troupe n° 3 sous le capitaine Rasina attaquera l’angle nord-est de l’ouvrage tandis que la troupe 4 sous le capitaine Jensch s’en prendra à l’angle est. Les deux capitaines comptent parmi les officiers les plus expérimentés du génie. |
La nuit tombe quand les troupes marchent vers leurs positions de départ pour l’assaut. Comme le matériel de génie n’est toujours pas livré, le baron Von Rössing se rend lui-même à la ferme de la Marsoupe pour constater que ce matériel a été partiellement déchargé suite à des ordres contradictoires. Il donne l’ordre de le recharger de suite et conduit personnellement la colonne jusqu’à l’endroit de déchargement prévu à l’est du fort.
Vers 22 heures, les troupes d’assaut arrivent dans les positions d’attaque. Certains fantassins commencent à couper des passages dans les barrages en fils de fer et subissent des pertes massives. Les problèmes se présentent surtout à la façade orientale du fort. |
Vers minuit, la colonne 3 du capitaine Rasina rapporte que le fort ne peut pas être attaqué : les barrages en fil de fer sont intacts et les caponnières sont actives. Le capitaine Jensch, commandant la 4e colonne à l’est, fait part de tirs soutenus de mitrailleuses et de canons revolver dans le secteur de défense au nord-est. Vers 3 heures du matin, quand le 11e R.R.I. bavarois prévu comme réserve n’est toujours pas arrivé, le général Von Tautphoeus se voit contraint de demander son remplacement auprès de la 12e brigade d’infanterie bavaroise. Alors le 3e bataillon du 6e R.R.I. bavarois sous les ordres du major Von Kiessling présent à Saint-Mihiel, se met en marche. Des parties de ce régiment sont attribuées aux différentes colonnes, comme la 11e compagnie de la colonne d’assaut n° 4 du capitaine Jensch.
L’assaut commence à 5H30 précises. Au nord du fort, les Allemands arrivent à couper des passages dans les réseaux de fils de fer, de sorte que les unités peuvent traverser les fossés sans trop de problèmes. Au sud aussi, les troupes réussissent à atteindre la couronne intérieure des remparts. La colonne 4, à l’est, se voit confrontée à la plus grande résistance. Son commandant, le capitaine Jensch, tombe pendant l’assaut de l’entrée orientale. Vers 6 heures, le major Von Rössing informe le général Von Tauphoeus que les parties nord et ouest de l’ouvrage sont sous contrôle allemand. Par contre, on se bat toujours sur le flanc est. Il est évident que la prise du fort n’est plus qu’une question de temps. Von Tautphoeus ordonne l’engagement de toutes les unités de réserves.
Peu à peu, les Allemands réussissent à repousser les défenseurs vers l’intérieur du fort. Les troupes d’assaut qui ont attaqué l’ouvrage du côté oriental arrivent également à avancer. Mais les assaillants rencontrent une défense farouche. Enfin, les combats se déplacent vers le cœur du fort. Un couloir central en direction de l’est possède des ouvertures sur les cours intérieures. Des mitrailleuses françaises sont posées dans ces ouvertures et dans le couloir même, dominant les secteurs avancés. Une anecdote raconte comment le commandant de la 12e compagnie du 6e R.R.I. bavarois, le lieutenant Reitzenstein, accompagné de quelques hommes du génie, aurait neutralisé une mitrailleuse à l’aide de grenades et de tubes à enfumer dans le secteur nord-est du couloir.
La neutralisation des mitrailleuses permet de mettre une fin définitive à la résistance des défenseurs. Les français se retirent vers l’intérieur de l’ouvrage. Le lieutenant les invite à se rendre, invitation à laquelle les Français répondent d’abord par des tirs de shrapnels. Seulement après le jet de plusieurs grenades dans les tuyaux d’aération, causant des dommages considérables dans les rangs français, un négociateur apparaît.
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Le négociateur est un officier français avec le grade d´un capitaine, qui signale que son commandant, le lieutenant-colonel Grignot, est prêt à entamer des pourparlers de reddition. Reitzenstein et le lieutenant Wülknitz, remplaçant le commandant Jensch à la tête de la colonne d’assaut n° 4, le suivent à l’intérieur du fort où ils trouvent les officiers restants. Le commandant se dit prêt à la reddition, à condition que les officiers puissent garder leurs épées et sabres ainsi que leurs affaires personnelles et que les troupes occupant le fort puissent sortir avec les honneurs militaires. On s’accorde à mettre fin aux hostilités d’abord, ce qui prend effet immédiatement après que l’ordre est donné. Dans la cour au sud-est, où les derniers combats ont lieu autour de l’entrée du couloir central, environ 80 Français se sont déjà livrés eux-mêmes. Des combats épars ont encore lieu à ce moment-là du côté sud du fort. Le 25 septembre 1914, vers 8H25 du matin, l’assaut du fort du Camp des Romains est terminé. Il a duré moins de trois heures.
Le lieutenant Wülknitz se précipite dehors et ordonne le cessez-le-feu du côté allemand. A l’entrée oriental du fort, il rencontre le major Von Rössing et le général Von Tautphoeus qui viennent d’arriver sur place en compagnie du commandant du 3e bataillon du 6e R.R.I. bavarois, le major Von Kiessling. Les officiers allemands et français se joignent aussitôt dans le secteur de la poterne principale. Le major Von Kiessling maîtrisant le mieux la langue française, c’est lui qui est chargé des négociations et de la rédaction de la convention de reddition en langue française. Le général Von Tautphoeus et le lieutenant-colonel Grignot signent les documents ensuite et, ce faisant, entérinent le sort du fort. |
La convention de reddition prévoit que les habitants français du fort emballent leurs affaires et quittent le fort à 14 heures. Avant de partir du fort, les officiers français rendent les armes et les dépôts de munition. Les troupes du génie allemand vérifient aussitôt s’ils n’ont pas laissé de pièges. 28 canons, 4 mitrailleuses et une quantité considérable de munitions passent dans les mains des Allemands.
Pile à l’heure prévue, les troupes françaises, comptant 5 à 7 officiers et 450 à 530 sous-officiers et soldats, quittent le fort et deviennent des prisonniers de guerre. Les sous-officiers et les troupes passent par la rue Porte à Metz en direction des gares situées près des Côtes lorraines, c’est-à-dire surtout vers Vigneulles lès Hattonchâtel où il y a une gare de chemin de fer. |
Selon le témoignage d’une habitante de Saint Mihiel, Madame Yvonne André, dont le mari est officier à la batterie des Paroches, les officiers français quittant le fort du Camp des Romains rentrent dans Saint Mihiel pour manger une dernière fois à l’hôtel du Cygne avant leur départ en Allemagne. Une image de désolation s’en dégage. Les témoignages paraissent contredire la version officielle française d’un accueil héroïque ; il semblerait que la population ait l’impression que le fort et la ville n’aient pas été défendus jusqu’au bout.
Cette impression est confortée non seulement par la courte durée des combats, mais encore par les pertes relativement limitées. Du côté français, les différentes sources font état d’environ 45 morts et 130 blessés. Selon ses propres témoignages, le 11e R.R.I. perd 1 officier et 22 sous-officiers et soldats pendant l’assaut. S’y ajoutent les blessés : 4 officiers et 69 sous-officiers et soldats. En ce qui concerne les troupes du 16e bataillon du génie, 2 officiers et 16 soldats sont tués et 35 blessés. Quant au 6e R.R.I. bavarois du IIIe C.A., aucune information sur les victimes n’est connue.
Après les combats, les troupes du génie considèrent ne pas recevoir une reconnaissance officielle suffisante pour la prise du fort du Camp des Romains. Ceci apparait explicitement dans le Livre d’honneur du Génie allemand publié par le général Wilhelm Haenichen en 1931. Les critiques visent particulièrement le rapport de l’armée allemande, qui dans son rapport du 25 septembre 1914 loue bien les mérites du 11e R.R.I. bavarois, mais ne fait aucune mention du 16e bataillon de génie du IIIe C.A. Il est vrai que le général Von Gebsattel évoque les troupes du génie dans son ouvrage dans la série « Combats de la guerre mondiale », mais là aussi, les mérites de sa propre armée éclipsent clairement la participation du général et commandant du IIIe C.A. bavarois.
Utilisation allemande :
Après que les Allemands ont réussi à établir une tête de pont sur la rive gauche de la Meuse lors de la prise de la ville, de lourds combats ont lieu dans ce secteur jusqu’en 1915, auxquels participent les 1er et 2nd bataillons du 6e R.R.I. bavarois et d’autres unités. A partir du milieu de l‘année 1915, le front se fige. Le fort du Camp des Romains se trouve désormais à la pointe d’une hernie allemande dans la ligne de front ; cette position sera tenue jusqu’à l’offensive franco-américaine du 12 septembre 1918, donc pendant presque 4 années.
Les réserves émises par certains officiers français pendant la construction du fort, craignant que celui-ci devienne un excellent poste d’observation pour les Allemands en cas de prise, ne s’avèrent que trop justifiées. Des unités d’artillerie à pied et de campagne ne tardent pas à y installer des postes d’observation. En cas de bonnes conditions météorologique, la vue vers le sud et le sud-ouest couvre une distance de presque 100 kilomètres. Les Français se retirent loin vers le sud sur l’autre rive de la Meuse et ne conservent que quelques positions et postes de garde dans le secteur.
De nombreux aménagements sont apportés à l’ouvrage, tels que des postes périscopiques, des logements et des positions d’artillerie, dont certains sont encore visibles aujourd’hui. Un vaste réseau de tunnels est construit au départ des fossés dans toutes les directions, voir le plan de mise à feu de juin 1918 en haut à droite.
Les Allemands tiennent le fort jusqu’à la fin de l’été de 1918, quand les Français réussissent à le reprendre dans le cadre de l’offensive alliée à partir du 12 septembre 1918.
Les images qui suivent sortent de l’album du lieutenant Rüger, membre de la 3e batterie du 3e R.R.I. à pied bavarois. Son unité a installé des postes d’observation dans le fort en 1915. Le lieutenant Rüger a pris des douzaines d’images, qui témoignent de la vie des soldats dans le fort du Camp des Romains. Un autre membre de cette batterie est le canonnier Luitpold Schaller, tombé le 3 mai 1915 près de la position de sa batterie sur les Côtes lorraines et dont la tombe se trouve à côté du célèbre Lion de Valbois près de Varvinay, sur le bord de la RD 901. De sincères remerciements à Marcus Massing pour la mise à disposition des images. |
Situation actuelle :
Aujourd’hui, le fort du Camp des Romains est fortement dégradé. Dans les années 1990, une initiative privée a eu l’ambition de rendre le site accessible aux touristes, mais a rapidement abandonné le projet devant l’ampleur de la tâche. Depuis, le fort est laissé à l’abandon. Il y a quelques années, des mesures de sécurité importantes ont été entreprises ; dans ce cadre, on a fait sauter le passage près de l’entrée occidentale. En même temps, les entrées des tunnels créés par les Allemands ont été condamnées par des grilles massives en métal. L’entrée orientale du fort, les entrées d’autres secteurs jadis accessibles ainsi que les ouvertures dans les fossés ont toutes été murées pour des raisons de sécurité.
L’utilisation actuelle de l’installation est limitée à la chasse. Une piste de parapente se trouve à l’extrémité ouest du terrain. Occasionnellement, on y rencontre des sportifs à VVT ou à moto, qui affectionnent surtout le secteur accidenté de l’ancien terrain d’exercice.
Le site entier du fort du Camp des Romains est classé zone militaire interdite. L’entrée de l’installation est strictement défendue.